Albarracin, petite ville espagnole baignée par le soleil. C’est dans cette ville perchée que Daniel Wallace rencontre la jeune Agueda pour la première fois, Il est le symbole du « self made man », né à Brooklyn dans une famille tout ce qu’il y a de plus classique ; c’était grâce à l’obtention d’une bourse qu’il a pu venir gonfler les rangs des étudiants de Columbia pour y apprendre le commerce. A la tête d’une entreprise d’import-export, c’est en voyages d’affaires en Espagne qu’il rencontre sa future femme, et mère de sa fille.

Seulement deux ans après cette rencontre fortuite, la jeune Mia ouvre les yeux pour la première fois, le 8 août 1987. C’était une journée particulièrement ensoleillée et les rayons lumineux transperçaient les rideaux du vaste salon de la résidence des Wallace, dans les Hamptons. Les années défilèrent à une vitesse folle, le pater familia passait le plus clair de son temps en déplacement, à crapahuter par monts et par vaux pour continuer à faire tourner le commerce. Il s’était juré que sa famille ne manquerait jamais de rien et le temps lui donna raison. Mia grandit auprès de ses parents à Long Island, à proximité des côtes, des dunes et des plages, dans un environnement privilégié et sécurisant. Quand elle ne s’occupait pas sa fille, Agueda qui avait suivi des études de comptabilité en Espagne s’occupait désormais des finances de la compagnie familiale, en épousant Daniel Wallace, elle était en quelque sorte devenue son assistante personnelle. Mia fut placée dans les meilleurs établissements de la région et conciliait sans problème les cours de la semaine et les sorties mondaines du week-end. Fêtes en tout genre, galas de charité ou événements de philanthropie, son père semblait ravi d’introduire sa fille à l’élite new-yorkaise. Il la voyait déjà suivre ses traces, étudier à la même faculté que lui et finir par reprendre l’affaire. Mia avait un tempérament de feu, digne de ses origines hispaniques, et passait le plus clair de son temps hors des Hamptons une fois la journée de lycée terminée. Elle avait compris que l’argent n’achetait pas le bonheur mais y contribuait fortement, elle enchaînait sans problème les sorties avec ses amis et les séances de shopping au budget quasi-illimité. Consciente de sa situation privilégiée , elle n’avait à se soucier de rien sauf de son bien-être.

C’est au lycée qu’elle rencontre James, qu’elle rangea directement dans la case des élèves modèles. Modèle, mais contrairement à elle, peu bavard et même assez farouche. Elle avait envie de le voir sortir de sa zone de confort, il y a tellement de choses à faire, à voir et à vivre qu’il s’en privait sans même le voir. « Allez, on bouge » s’entendit-elle lui dire à plusieurs reprises avant de l’emmener dans un bar du coin. Le lycée toucha à sa fin quelques mois plus tard et ce fut le moment pour Mia de choisir une voie. Le problème, c’est qu’elle n’y avait jamais vraiment pensé. Au lycée, elle était bonne en tout, mais n’excellait pas dans une seule matière. Pour une fois, elle n’eut d’autre choix que de faire confiance à son père, dans l’attente de trouver mieux. Elle postula dans la filière commerce de la faculté de Columbia, et sans surprise, fut acceptée sans même passé par la liste d’attente. Après 4 ans passés dans les mêmes amphis que son père, même si elle passait plus de temps à bavarder et à planifier des suprises party avec ses amis – quand on est populaire, on ne les compte pas – elle sortit de la fac’ avec un précieux sésame.

« Je t’ai trouvé une place en stage chez l’un de nos fournisseurs » lui lança son père, sous-entendu, c’est à ton tour de travailler dur maintenant. « En Géorgie ? » rétorqua Mia sur la défensive, qu’allait-elle bien pouvoir faire là-bas ? Elle qui avait vécu à New York pendant 24 ans se retrouva bientôt dans l’avion pour Savannah, direction downtown, le coin des affaires. Son père lui avait déjà loué un loft dans le coin, évidemment. Elle avait appris le mariage de James quelques heures seulement avant l’embarquement, c’était bien pour lui. Elle espérait simplement que ça durerait et que tout se passerait bien avec sa future femme. Elle-même n’était pas vraiment adepte des relations amoureuses, elle n’y croyait pas. Ça ne pouvait pas durer plus de quelques semaines dans son imaginaire.

Son stage "en immersion" fut plus court que prévu, les missions ne l'intéressaient pas particulièrement et sa motivation se retrouva rapidement proche du 0. C'était définitif, le commerce n'était pas pour elle. Un matin, elle passa un simple de coup de fil en annonçant qu'elle ne viendrait pas et se mit à la recherche d'un job d'appoint pour grossir encore la somme rondelette que son père versait sur un compte en banque ouvert à ses 12 ans. Après deux ans d'un train de vie rythmé par les sorties tardives et ses quelques heures de boulot, elle apprit la séparation de James. Elle se retint de lui dire qu'un mariage était de toute façon voué à l'échec, mais c'était pas vraiment ce qu'il avait envie d'entendre.
" Viens te poser à l'appartement un moment, ça te changera les idées. Je crois même que j'ai vu une annonce pour un poste d'enseignant à la faculté..."

" Mia, je bosse." lui lança James, son nouveau colocataire, sans même décoller son regard des copies qu'il avait sous les yeux. " T'es dessus depuis que je suis rentrée, allez, c'est vendredi ! Je te laisse même choisir le programme tant qu'on va boire un verre..." lui répondit-elle en souriant. Après un an de cohabitation, James se trouva un appartement dans le coin, laissant un vide rapidement comblé par l'emménagement d'Emma - une cousine irlandaise, fille de sa tante - dans le grand loft que loue le père de Mia dans le quartier des affaires. Bien sûr, Mia et James se croisent toujours et se calent des déjeuners ; mais à 27 ans, la jeune femme risque de se faire rattraper par la réalité du temps qui passe et de ce qu'il lui reste à accomplir ; à l'image des mots français, repris sur une photo de voyage de son père, et gravés à l'encre à l'intérieur de son poignet : Qui Vivra Verra.