Le son de l’aiguille de la pendule est sans doute la seule chose qu’on entend dans cette pièce qui lui parait froide. Il est seul, sans doute est-ce parce que son rendez-vous se trouve être en fin de journée, il est surement le dernier patient du cabinet. Si le silence a quelque chose d’apaisant selon Jayden, il trouve que le son de cette aiguille gâche tout et il est plus stressé qu’autre chose. De toute façon la finalité qui le fait être présent ici a tendance à le stresser. Ses séances de psy deux fois par semaines depuis des années maintenant, ce n’est pas vraiment une partie de plaisir. Il le fait exclusivement pour sa famille qui s’inquiètent pour lui et qui pensent surement que sa psychologue peut le réparer, comme si son cerveau était si dysfonctionnel que ça. Jayden le vit comme ça et dans un sens c’est le cas, son cerveau n’est plus ce qu’il était, il doit consulter et ça la meilleure chose à faire s’il veut que tout s’arrange. Le jeune homme se trouve donc forcé de quitter le boulot et venir ici pour parler de sa vie, tenter de se remémorer son passé, que ce soit bon ou mauvais. Il se répète encore et encore tout en espérant avoir d’autres souvenirs faire leur apparition. Dix ans qu’il tente d’y parvenir, dix ans que tout le monde espère mais il n’est plus persuadé que cela serve à grand-chose. Il aimerait penser à autre chose, aller de l’avant plutôt que de vivre deux heures par semaines uniquement dans le passé mais il voit sa famille s’inquiéter lorsqu’il parle d’arrêter alors il continu… pour leur faire plaisir et rien d’autre. Alors forcément il n’est pas vraiment le plus heureux d’être ci, surtout lorsque sa psychologue vient l’accueillir dans la salle d’atteinte ainsi : « Bonjour monsieur Nelson, ravie de vous voir parmi nous et que vous n’avez pas oublié ! » Jayden la fusille du regard. Que certaines personne avec qui il est proche le taquine sur sa mémoire qui lui joue des tours c’est une chose mais que sa psy s’y mette, c’en est une autre. Soufflant, il se lève de sa chaise pour entrer dans le cabinet tout en la saluant brièvement. « Non je n’ai pas oublié, malheureusement ! » Il ne s’en plaindrait pas, ce n’est qu’une chose futile parmi d’autre. Il a déjà oublié ses séances mais il a toujours parvenu à trouver des excuses pour ne pas montrer que sa mémoire lui fait encore défaut. Quand il se rend compte de ceci ça l’énerve alors il tente la plupart du temps de le cacher parce qu’il y a autre chose qui l’énerve plus que ses trous de mémoires : voir l’inquiétude à ce sujet dans le regard de ses proches.

« Monsieur Nelson, vous connaissez nos séances, parlez-moi de vous, du moins de votre passé et on tentera d’y creuser un peu plus que la semaine dernière. Allez-y j’vous en prie. » On peut remarquer Jayden souffler, il en a marre de faire encore et encore la même chose. Sa famille il s’en souvient bien sur le fait qu’on puisse imaginer qu’il les oublie l’énerve. Tout l’énerve dans ses cas-là de toute manière. Ca l’irrite au plus haut point mais il n’a pas le choix. ‘Respires Jayden, dans une heure c’est fini tu pourras faire semblant que tout va bien’ ça lui permet de se calmer un minimum, finalement il s’installe confortablement avant de commencer à parler : « Ma famille je m’en souviens, ça ne sert à rien de me demander encore  et encore. J’ai grandi avec eux, j’ai été heureux avec eux, je ne pourrais pas oublier ça ! » Oui les membres de sa famille, il ne les oublie pas, le jour où il demandera l’identité de sa propre famille alors oui il faudra commencer à sérieusement s’inquiéter mais non, ses parents, sa petite sœur et son cousin qui a vécu une bonne partie de sa vie avec eux, il les a bien en tête, même leurs dates de naissance, c’est un très bon signe. « Vous savez très bien de quoi je parle, je ne parle pas de vous souvenirs de votre famille mais plutôt de vos souvenirs d’enfance, vos premiers noël, vos journées d’école ! Ce sont des souvenirs qui pourront vous emmener d’autres, c’est important ! » Elle marque un point. La plupart de ses souvenirs ne sont que des leurres, des histoires qu’on a pu lui raconter pour que justement il s’en souvienne. Il a vécu ça comme des histoires qu’on lui racontait, pas comme s’il l’avait vécu. Il y a aussi les photos qui l’aident vachement à s’inventer des souvenirs si bien qu’aujourd’hui il ne sait plus si ça vient des histoires qu’on a pu lui dire, des histoires qu’il s’est inventées ou encore s’il s’agit bel et bien de véritable souvenirs. Pourtant, il y a des souvenirs, il est sur de les avoir vécue.

Flash-Back ▬ Il y a vingt-quatre ans.

« Papa, maman, c’est le grand jour ! » un petit garçon de quatre ans saute partout et vient même sur le lit de ses parents pour leur raconter à quel point il est content d’avoir quatre ans. Autant dire que chez les Nelson, impossible d’oublier ce jour si important pour Jayden. En effet c’est son anniversaire et ça fait deux mois, peut-être même trois que le petit garçon fait le décompte pour savoir quand sera le jour j, le jour où il devient un grand selon-lui. « Bon anniversaire mon grand ! » Sa mère semble complètement fatiguée mais ça ne l’empêche pas de prendre son fils dans ses bras et lui faire un gros câlin avant de se redresser. « C’est vrai que t’es grand maintenant ! » Commente son père. Jayden a toujours voulu être plus grand, on lui a toujours dit qu’il comprendrait quand il sera plus grand et pour lui ça signifie son anniversaire même si forcément à quatre ans il ne va pas comprendre grand-chose des histoires des adultes. « Je pourrais avoir un trampoline, vous avez dit que j’en aurais un une fois grand. » Il ne veut pas forcément tout savoir, il veut aussi tout expérimenter, du moins en théorie. En tout cas il n’est que sept heures du matin et il est excité comme une puce à tel point qu’il risque de réveiller tout le quartier. Peut-être pas tout le quartier mais au moins la maison, ça c’est clair « On verra Jay’ mais tu vas réveiller ta sœur ! » tenta de calmer Mme Nelson en se levant finalement en entendant sa petite sœur crier. Cette dernière vient à peine d’atteindre sa seconde année. Jayden s’en fiche de la réveiller. Non pas qu’il ne tienne pas à sa sœur au contraire il tient énormément à elle dont il prend le rôle du grand frère protecteur avec plaisir mais il a envie de faire la fête, de crier sur tous les toits et ce, en la compagnie de tous les membres de sa famille.

Fin du flash-back.

D’autres souvenirs il en a des tas, comme celui-ci mais pour lui ce n’est pas suffisant. Ce ne sont que des souvenirs enfantins, qui n’expliquent pas réellement comment il en est là aujourd’hui. C’est pour cela qu’il baisse les yeux, sans rien dire, rien n’ajouter. Il est mal à l’aise et ça se voit. La preuve, pas besoin de lire dans ses pensées pour comprendre. « Vous voulez revenir sur le cas… » Elle ne finit même pas sa phrase, est-ce fait exprès ou non il n’en sait rien. Tout ce qu’il sait c’est qu’il n’a de toute manière pas besoin qu’elle parle pour savoir. « Pas spécialement, vous le savez c’est dur mais si on a pas le choix… » Il en parle limite toute les semaines, quoi que des fois il arrive à passer outre mais vu son regard, ça ne sera pas le cas durant cette séance.

Flash-back ▬ Il y a dix ans.

« Monsieur Nelson vous m’entendez ? Vous vous trouver à l’hôpital, tout va bien. Clignez seulement des yeux si vous m’entendez. » Jayden est totalement dans le coaltar mais il finit par s’exécuté en clignant d’une paupière. La gauche ou la droite, il ne sait pas, il sait juste que la lumière lui fait un mal de chien. Il a l’impression d’avoir pris un tas de drogue mais peut-être que c’est le cas, il ne sait pas il est perdu. Finalement il entend de l’agitation autour, il devine que sa petite sœur lui prend la main mais il n’est pas certain. « Ça va aller Jayden, tu nous a fait peur mais tout va bien ! » Il ne sait pas ce qu’il fait là, il sait juste qu’il est allongé, qu’il se sent engourdi mais rien d’autre. « J’vais appeler Kalina dans quelques minutes, elle sera super contente de ton réveil. » Réveil ? Mais qu’est-ce qu’elle est en train de lui dire ? Il ne comprend rien. Il n’avait pas la force de parler, enfin il n’avait surtout pas la force de tenter de le faire. Il avait l’impression qu’un bulldozer lui était passé dessus. Finalement il sentit des médecins venir faires quelques tests, lui laissant un peu de temps pour reprendre ses esprits. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Dit-il finalement quelques minutes plus tard à sa sœur qui venait de lui assurer qu’elle avait prévenu tout le monde de son réveil. « Tu as eu un accident après le bal avec Kalina… rassures toi elle va bien. Toi par contre tu es resté dans le coma pendant deux mois. J’ai eu tellement peur que tu ne te réveilles pas ! » Il la vit, difficilement mais il la vit quand même fondre en larmes même si elle lui assurer que c’était des larmes de joie. Les informations lui revinrent en tête, bal, accident, Kalina. Ses souvenirs de la soirée étaient peu clairs, il se souvenait de Kalina magnifique dans sa robe, avoir eu une sensation de bonheur, mais le reste fut trouble. Finalement il vit tout le monde débarquer en rallant contre un médecin qui leur demandait de ne pas venir tous en même temps. Ses parents, sa chérie, des membres de la famille de celle-ci. Ils étaient tous là, faut dire qu’ils ont toujours été proches, voisins, comme deux familles unies l’une avec l’autre. « Bébé… » Dit-il en regardant Kalina, heureux de la voir saine et sauve. Ils avaient l’air tous contents de le voir en « pleine forme » oui ça c’était avant qu’il les regarde bizarrement et demande « Qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Tout le monde le regarda sans rien dire la bouche grande ouverte avant de finalement lui répéter la situation. Plus tard alors qu’il était en train de dormir, il crut entendre son chirurgien en neurochirurgie vouloir rassurer ses parents. « Les pertes de mémoires sont fréquentes chez les personnes ayant été dans un coma artificielle. Dans la plus grande partie des cas la mémoire fini par revenir. »

Fin du Flash-Back.

Son problème de mémoire qui ne devait pas durer longtemps a continué, si bien que même aujourd’hui il a du mal. Entre les problèmes à long terme qui lui ont fait effacer certains souvenirs de sa vie ou encore les problèmes à court terme qui l’ont parfois empêché de vivre normalement étant donné qu’il oublie ce qu’il voulait faire cinq minutes plus tard. Ça lui a gâché la vie, surtout en ce qui concerne ses relations. Il sait qu’il peut faire souffrir, étant conscient de ses problèmes et il ne veut pas faire vivre cela à qui que ce soit. C’est son problème, sa famille il n’a pas vraiment le choix puisqu’ils se sentent entièrement impliqué dans cette histoire mais les autres il ne veut pas se la jouer égoïste en leur faisant vivre avec ce poids. Oui il vit cela comme un poids. En même temps, faut dire que ce n’est pas vraiment facile tous les jours…


Flash back ▬ Il y a trois ans.

« Attention Jayden ! Je t’ai dit de faire attention, que ce n’était pas fixé ! » Son patron commençait à s’énerver. Est-ce parce qu’il tient à son employé ou bien parce qu’il ne veut pas avoir des problèmes avec la justice ça ne change rien, il est en train de l’engueuler après lui avoir sauvé la mise en l’aidant à sortir in extrémis de sous la voiture qui lui tombait littéralement dessus. « Je… désolé, je… » Il a tout simplement oublié cette précision. Ce n’est pas la première fois et malheureusement ça ne sera pas non plus la dernière. Il n’est pas vraiment du genre à s’excuser facilement ou quoi que ce soit mais pour le coup il se sent mal à l’aise, oui parce que ses problèmes aurait pu lui coûter la vie, une nouvelle fois alors forcément ça met un sacré coup. « Écoutes Jayden, je ne sais pas si ça va le faire toi ici. T’es très doué dans la mécanique, t’as a été un employé modèle quand tu travaillais ici durant tes week end quand t’étais jeune etc. mais je ne pense pas qu’on va pouvoir continuer ! » Il l’avait vu venir, il s’en doutait et il pouvait comprendre. Qui prendrait un risque de voir son employé mourir parce qu’il fait des maladresses sans même le vouloir ? Il est souvent sous des voitures, il fait de la mécanique dans le garage où il travaille depuis qu’il est en âge de travailler. Au début pour se faire un peu d’argent pendant ses week end et pendant les vacances et depuis qu’il a abandonné ses études suite à son accident. Autant dire que faire des études, mémoriser ses cours pour ses examens et tout ce qui va avec, ce n'était même pas envisageable. Travailler ici aussi apparemment puisqu’un mois plus tard, il a du faire un adieu à son travail.

Fin du Flash back

Comme quoi, ça lui a pourris toute sa vie. Aujourd’hui même si avec ses thérapies ça va un petit peu mieux, c’est toujours un frein. Pour son travail, maintenant il travaille dans une animalerie et il se fait sans cesse des post it pour tout écrire, les informations importantes que tout le monde se retiendrait mais dont lui n’est pas certaine de le faire. C’est un frein aussi dans sa vie amoureuse et apparemment sa psychologue pense à la même chose. « Vous êtes toujours en contact avec Kalina ? » Forcément, il lui en a beaucoup parlé. Faut dire qu’elle était une partie intégrante de sa vie et même s’ils ne sont plus ensembles ça ne change rien et puis surtout : il ne l’a pas oublié.

Flash-Back ▬ Il y a deux mois.

« Jayden mon chéri tu as reçu un mail ! » Jayden vit encore chez ses parents, du moins avec sa mère puisque ses parents ont divorcé il y a des années maintenant. Sa sœur quant à elle a pris son envol et elle a eu raison après tout. Jayden n’a pas vraiment le choix. A dire vrai il a le choix oui mais il préfère vivre dans la facilité et apparemment ça ne dérange pas sa mère bien au contraire. En tout cas lui qui était dans la cuisine, autant dire que l’entendre lui dire ceci alors qu’elle surfait sur son ordinateur, il ne mit pas longtemps à la rejoindre. Un sourire s’afficha sur ses lèvres en voyant le destinataire. « Kalina ? Vous êtes encore en contact ? » Sa mère semblait étonnée. Elle ne devrait pas. Ils étaient fou l’un de l’autre, passaient beaucoup de temps ensemble. Ils étaient un vrai petite couple comme on aime les voir mais aussi comme on les jalouse. Il s’en souvient bien. Il ne se souvient pas de chaque souvenir de leur relation mais il se souvient à quel point il a pu l’aimer et à quel point ça a pu lui faire mal de la laisser partir parce qu’il n’était plus le même homme après leur accident. En tout cas il ne pouvait couper tous les liens et elle aussi ne semblait pas vouloir le faire à son tour. « Ouais, on était amis à la base hein ! » Oui enfin il ne la considérait sans doute jamais comme une simple amie mais il n’a pas le choix. Il ne veut pas la forcer à vivre sa mémoire défaillante. Il est parfois dangereux avec lui-même alors ne veut pas l’être avec autrui, encore moins avec elle. « Elle devient quoi ? » Demanda-t-elle visiblement intéressée par la question. Sa mère est proche de la famille d’en face, c’est-à-dire la famille de Kalina alors forcément il pensait qu’elle en savait un petit peu sans qu’il n’ait besoin de divulguer les informations présentes dans leurs mails échangés. Kalina n’est pas revenue depuis dix ans, depuis qu’elle a quitté la ville mais il aurait imaginé que sa mère aurait pu lui parler et lui raconter les derniers potins. Mais bon, soit. « Elle a une petite fille de neuf ans, Sofia. » Annonça-t-il. Elle a refait sa vie, elle a l’air heureuse et même si forcément ça lui fait bizarre, il ne peut faire autre chose que d’être heureux pour elle. Elle le mérite amplement. Sa mère finie par prétexter devoir cuisiner, laissant son fils alors pouvoir lire son nouveau message avec attention. Tous les deux continus de se parler depuis la dernière décennie. Ils racontent leur vie, parlent parfois du passé en tentant de ne pas trop parler de leur relation d’antan. Sans même qu’elle ne semble sans rende compte, elle lui rappelle certaines choses. Elle était celle qui le connaissait le mieux alors forcément ça lui fait du bien de l’avoir dans sa vie, c’est important !

Fin du flash-back.

Pourtant, la jeune femme reste tout de même un sujet tabou auprès de lui. Il n’aime pas forcément en parler et c’est pourquoi comme à chaque fois, il se leva, salua sa psychologue dans le but de sortir de la salle et fuir ce cabinet sans écouter le fait qu’il avait besoin de finir la séance. Elle devrait avoir l’habitude. Elle n’avait qu’à parler d’autres choses. De panda, de papillon, tout ce qu’elle voulait mais pas ça si elle voulait une conversation sérieuse et sans le faire prendre ses jambes à son cou.